top of page
Cajta de cartón
10.png
FRACAS (2).gif
  • Facebook
  • Twitter
viceversa

Pierres de sel

À Wendy L.

Garde l’aiguille, les fils,
nous n’avons pas appris l’art de recoudre l’invisible ;
un voile de cicatrices se redresse sur le sable.

 

Il faudra lever l’ancre une nouvelle fois,
avec d’autres voiles pour ce navire,
privé d’îles qui nous rappellent Ithaque,
avec des eaux où les baleines sont moins blanches.
Il faudra construire une mer.

 

Lève l’ancre, brûle la maison,
rame avec moi.

 

Ne traversons pas cette plaine avec tristesse,
Ne croisons pas le regard par-dessus l’épaule.

 

 

 

Radeaux [1]

 

Tout ici est noir.
Si ce n’était le ciel,
je croirais que la baleine m’a avalé.
Jonas y a bien passé trois jours.

 

La mer est toujours la même :
un asile de murs bleus ou noirs.

 

Sainte Cachita[2], Mère de Dieu, priez pour nous, radeaux, pécheurs.

 

Ce détroit est un cimetière,
il a la largeur de la main de Dieu.
Parfois il s’endort et nous laisse tomber,
cubains et haïtiens
roucoulement turquoise.

 

J’espère que la tempête n’arrive pas,
j’espère que la tempête ne me renverse pas,
car la Vierge ne viendra pas.

 

De toute façon je préfère mourir ici que rentrer,
au pays spectre, au pays sans vie.
Pagaie et prière,
ont la même longueur[3]. 


Derrière l’horizon il y a ma maison.
Derrière l’horizon ma femme,
son corps tiède est peuplé de palourdes.
J’ai vu de nombreuses fois le soleil couler,
de nombreuses fois.
La lune dit qu’aujourd’hui n’est pas,
aujourd’hui n’est pas le jour de ma mort.
La lune dit que derrière l’horizon,
je dois pagayer et prier.

 

Tout est solitude, silence,
tenues blanches pour le jour,
tenues noires pour le soir.
Si ce n’étaient les étoiles
je penserais qu’un animal m’a avalé,
monstrueux, biblique.


Donne-moi ton signe, étoile polaire.
Sainte Cachita, Mère de Dieu, priez pour nous, radeaux, pêcheurs.

 

La lune dit qu’aujourd’hui n’est pas,
aujourd’hui n’est pas le jour de ma mort.

Qui comme moi, étrangère ?

 

J’ai vu des racines rompant les trottoirs,

hommes moites, murailles de douleur.

 

J’ai accumulé tous les masques,
mots qui ne m’ont jamais appartenu,

la solitude et ses moissons.

J’ai appris tes rues, ville,

je me suis faite à ton image et ressemblance ;

dans les étés les plus caniculaires,

j’ai vu mourir des familles entières.
J’étais étrange,
en marchant j’ai survécu aux voix basses,
comme une broche sur les habits d’un mendiant.

 

Phare sans navire, la hantise de n’appartenir pas,

de construire des maisons comme un escargot.

 

Qui, comme moi, peut écraser le printemps du raisin,

extraire le jus avec ses pieds,

le transformer en vin,

dans le point exact qui évite l’aigreur ?

 

Qui, comme moi, compte les prières comme des cailloux ?

Traversant le Rubicon ?

 

Une couette en morceaux de nous tous qui sommes loin de la maison,
nous adaptant toujours à l’urgence d’être à nouveau un fauve intègre,

qui ne flanche pas dans l’adversité.
Qui comme nous, les errants,
forgés avec l’air des tempêtes pour atteindre des feux
et savoir que nous sommes à peine le reflet dans l’oeil d’un dieu.

 

Qui, comme moi, étrangère ?

 

Chant de Noël

 

Ça ne résout rien.
Je peux écrire cent poèmes
qui ne résoudront rien.
La mer est encore là,
la ville continue
son chant agité d’autoroute
et même si j’écris les vers les plus tristes[4]
la plaie du monde ne sera pas réparée.

 

Mais il fait une nuit splendide,
l’air est rempli d’odeurs,
de fritures huileuses cuites aux oignons
et lointain se faufile un jazz par la fenêtre.

Quelque part les gens sont heureux,
et Noël approche.

 

Nous sommes loin de la maison,
quelque lignes ne pourront pas le résoudre.

[1] En espagnol Balsero, terme qui fait référence aux radeaux cubains.

[2] Invocation mariale : Virgen de la caridad del cobre.

[3] Le jeu de mots que l’écrivaine fait en espagnol n’est pas possible en français. Nous avons essayé de traduire le jeu de mots en écrivant deux mots qui ont le même nombre de caractères, pour ainsi garder le poids que la langue a en relation à l'expérience du radeau et du poète.

[4] Référence à Pablo Neruda - Poema 20, « Puedo escribir los versos más tristes... »

QUATRE POÈMES DE

TRADUCTION DE

bottom of page