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UN ENTRETIEN AVEC

PAR

Traduction de

Dans la littérature, il y a toujours eu deux extrêmes : d'un côté la recherche d'un langage commun, standard, qu'aujourd'hui on pourrait nommer global, et d'un autre côté la recherche d'un langage familier, populaire, et même expérimental. Comment te situes-tu, en tant que traductrice, face à ces deux tendances ?

 

Ma langue natale est l'espagnol rioplatense[1] et je l'emploie de manière naturelle. Evidemment, tout dépend du texte que je suis en train de lire pour ensuite le réécrire dans une autre langue. Je tente de reproduire la sensation que, selon moi, l'auteur du texte original a essayé d'éveiller chez son lecteur idéal, en tenant compte des spécificités de ma langue. S'il existe un langage global, c'est celui des textes scientifiques, mais ce n'est pas le cas en littérature parce qu'on ne vibre pas partout dans le monde de la même manière ; ce ne sont pas partout les mêmes mots qui réveillent les mêmes émotions. Tout dépend de ce que le texte exige à mes yeux pour être refaçonné sans perdre sa magie.

 

 

 

Kundera disait que les traducteurs détestaient les répétitions, qui leur apparaissaient comme des défauts qui devaient malheureusement être corrigés. Qu'en est-il dans ta pratique de la traduction ?

 

Si la répétition fait partie (volontairement ou non) du texte source, elle doit apparaître dans la traduction. C'est la même chose en ce qui concerne d'autres questions de style. J'essaie de ne pas corriger le texte que je reçois. Je ne juge pas l'original en fonction de ce que j'aurais écrit mais plutôt en pensant aux outils dont je dispose pour dire la même chose dans ma propre langue, tout en gardant cette particularité du texte d'origine. Je ne pense pas le texte en fonction de qualités ou de défauts sur lesquels je devrais agir mais plutôt comme un message qui doit arriver à bon port, avec le moins possible d'altérations de sa forme et de son contenu. Je crois que la présence du traducteur, comme le plus précis et précieux des outils, est justement là où on dirait qu'il n'y a personne.

 

 

 

Certains traducteurs latino-américains pensent que traduire est un acte politique, une manière de résister à l'hégémonie éditoriale de l'Espagne. Et même une façon de revendiquer la spécificité de l'espagnol de leur pays. Qu'en penses-tu ?

 

Il existe de nombreuses variantes dialectales de l'espagnol, chacune avec son histoire et sa propre richesse. Je ne partage pas l'opinion selon laquelle l'espagnol de la péninsule ibérique serait meilleur que celui du Rio de la Plata (cette manière de dire : « Vous autres, vous parlez mal ») ; c'est un stéréotype sans fondement de penser que ton dialecte est correct et que les autres se trompent. Écrire dans un certain espagnol est une revendication de la culture à laquelle tu appartiens, sans que cela ne mène à dévaloriser les autres variantes. Il faut plutôt les voir comme quelque chose de positif, une formidable preuve de fertilité linguistique à explorer.

 

 

 

Considères-tu que les traductions peuvent vieillir ? Est-ce qu'il est nécessaire de retraduire Homère ou le XIXe siècle ?

 

Oui et non. Si la traduction est bonne, elle ne vieillit pas. Ou si elle le fait, elle vieillira bien, en apportant quelque chose au texte original. Mais évidemment, beaucoup de traductions faites dans le passé ne sont pas toujours bonnes et elles pourraient sûrement être améliorées entre les mains d'un professionnel qui maîtriserait mieux le contexte linguistique et culturel du texte original, et qui surtout prendrait davantage au sérieux son rôle de traducteur. Piloto de tormenta, une petite maison d'édition indépendante de Buenos Aires, vient de lancer une nouvelle traduction illustrée du Spleen de Paris de Baudelaire. Les dessins de Pedro Dalton sont géniaux, la traduction de Pablo Krantz ne me paraît pas mauvaise mais je n'ai pas trouvé qu'elle dépassait d'autres versions déjà disponibles, comme celle de José Antonio Millán Alba. Faire mieux ce qui n'a pas été si bien fait avant : je crois que ce serait la justification d'une nouvelle traduction.

 

 

 

Et dans le cas d'auteurs plus contemporains : est-ce une pure stratégie marketing de les retraduire?

 

En fonction du genre auquel appartient le texte original, il peut parfois être nécessaire de recontextualiser localement une traduction. Je pense par exemple au théâtre, où la compréhension du spectateur doit être immédiate (car il n'y a pas de possibilité de note de bas de page). Je me souviens aussi d'une traduction faite en Espagne d'un roman de Lydia Lunch qui, ici dans notre région du Rio de la Plata, paraissait plus déconcertante qu'érotique. Retraduire un texte se justifie si on peut y agréger quelque chose que ne posséderait pas la traduction antérieure (par exemple, une édition annotée d'un livre dont on croit qu'il marquera l'histoire de la littérature universelle). Quant aux best-sellers, je ne crois pas qu'on les retraduise ici...

 

 

 

Comment vois-tu la situation actuelle du traducteur dans le système littéraire ?

 

En ce qui concerne la formation des traducteurs, on constate une dépréciation de ce travail. Aujourd'hui, un étudiant en traduction littéraire et technico-scientifique qui sort de l'IES en Langues vivantes Juan Rámon Fernandez obtient un diplôme tertiaire, jugé inférieur à la licence que délivre l'université de Buenos Aires aux diplômés de Lettres qui s'y forment comme critiques littéraires. Le projet d'UniCaba (qui devrait remplacer tous les instituts de formation qui dépendent actuellement de la ville de Buenos Aires) ne semble pas inclure les études de traduction. Il existe des licences en anglais ou en français à l'Université nationale de La Plata, par exemple, mais elles sont plus conçues pour former des professeurs de langue étrangère. Les formations de traduction proposées par les universités concernent le secteur public et administratif, c'est à dire qu'elles sont pensées en fonction des besoins bureaucratiques comme les traductions de certificat de naissance ou d'autres documents officiels. Cette dépréciation se voit en général sur le marché éditorial, où la figure du traducteur reste absente sauf s'il s'agit d'une personnalité de renom, comme c'est le cas de Cortázar avec l'œuvre narrative de Poe. On le voit aussi dans d'autres domaines académiques voisins : par exemple, dans les publications de travaux académiques, on ne peut pas indiquer le nom du traducteur des textes cités dans la bibliographie, comme si cette information était complètement insignifiante et ne pouvait en aucun cas modifier le contenu de l'article... Mais dans le même temps, il existe aussi tout un mouvement pour revendiquer la figure du traducteur depuis les institutions de formation (comme le « Séminaire Permanent des Études de Traduction » à l'IES de Langues vivantes) ou d'autres espaces comme le « Club des traducteurs de Buenos Aires ». Un projet de Loi sur la traduction d'auteurs a également été présenté pour l'Argentine. Toutes ces initiatives sont récentes, et ce sont toujours les mêmes personnes qui s'y impliquent : leur portée est limitée mais étant donné qu'elles circulent et que de nouveaux soutiens surgissent, on peut penser qu'on verra quelques améliorations dans la situation des traducteurs, aujourd'hui et à l'avenir.

 

 

 

À l'instar des écrivains et de leurs figures tutélaires, est-ce que tu as des modèles de traducteurs ?

 

J'ai d'abord étudié les Lettres et ensuite la traduction pour approfondir mon approche des œuvres littéraires en français ; et depuis lors, répéter dans ma langue ce que j'avais lu dans une langue étrangère est devenu pour moi un défi passionnant. J'ai une formation de traductrice, diplômée de l'IES en Langues vivantes où j'ai appris auprès de professeurs qui m'ont montré la voie à suivre, comme Graciela Isnardi, Patricia Willson, María Valeria Di Battista...

 

 

Une traduction à recommander ?

 

J'aime beaucoup les traductions que le Dr Rolando Costa Picazo a faites de certaines œuvres de Shakespeare et son édition des nouvelles complètes de Poe. Il est traducteur littéraire mais également professeur de littérature en langue anglaise et cela se sent dans ses traductions : il rapproche le texte du lecteur, il l'aide dans sa lecture et dans la compréhension du contexte socioculturel dans lequel l'auteur a vécu, tout en conservant son caractère étranger.

 

[1] Espagnol employé en Argentine et en Uruguay, Note du Traducteur

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