
à vous qui êtes sublime
à vous qui êtes de ce monde-là
de frais de santé
de permissions
de sorties
d’obsessions
de lésions toujours premières
d’ennui
levez-vous dites :
je suis de ce monde-là
où debout tout est permis
quelqu’un quelque part saura
vous sauver de votre fatigue
vous méritez mieux
vous apprenez le tricot pour faire maille à part
vous baptisez votre cuisine de Gauche
votre déshydrateur à viande d’avant-garde
vos bocaux de germinations démocratiques
vos cinq catégories de poubelles
vous achetez un extracteur à jus
pour séparer la fibre nationale du liquide autochtone
vous achetez en vrac
vous êtes apôtre mur à mur
des lactofermentations
cuisinez votre propre savon
et aimeriez que tout le monde sache
que les mouches à fruit ont une âme
ne faites pas honte à votre siècle :
achetez de souche
vous avez étudié avec la Gauche
vous êtes militant blanc angoissé autogéré
pro-féministe ouvert
étudiant en sociologie écologiste altermondialiste
antifa barbu percé tatoué membre du COBP
et vous avez violé votre meilleure amie
le monde ne vous a pas assez donné
vous en voulez à papa à votre éducation privée
à maman de ne pas vous avoir appris
comment en profiter
à votre ami gay qui entretient chez vous
un complexe d’infériorité
vous dites comprendre les femmes agressées
depuis que l’une d’elles
vous a réveillé
vigoureusement
pour baiser
vous avez un penchant pour le passage du temps
les matériaux bruts le bois non traité
la désobéissance civile
l’odeur de la corde vous donne des envies
que vous n’assouvirez qu’à cinquante ans après
avoir joué votre libido au casino des âmes
ne faites pas honte à votre siècle :
capitalisez
Je sais que ma honte, elle aussi, est un cliché du siècle. De peur que la foudre ne l’applique à ma petite vie de foyer comme on maquille un mort, de peur que n’en surgissent trop d’armes et que la folie ne déclasse l’eau vitale, de peur de la porter comme une fierté, un vêtement, j’ai fait comme si la honte n’avait aucun goût.
attention vous êtes filmé la preuve
que ça existe la bienveillance
la bonne conduite les hautes études
de bons amis en politique
la volonté fait des miracles
vous dites : « j’ai travaillé pour »
un walk-in un bon sens de l’humour une réputation
des escortes la magistrature une conscience sociale
un chalet à distance raisonnable de Montréal
le système de santé le corps policier
un devenir combatif issu de votre « passé de militant »
vous êtes de ces gens crédibles
à la fine pointe des applaudissements
de ces belles gueules de l’extrême-centre
qui font baptiser leurs fils
au Théâtre du Nouveau Monde
vous ne connaissez pas votre siècle :
passez de bonnes vacances
Extraits de Ne faites pas honte à votre siècle,
éd. Poètes de brousse, 2017.